Le rêve des hommes d’avant

La vie m’a confié l’accompagnement de 4 enfants, et il est bien délicat de conclure qui, entre les adultes et les enfants de notre famille, détient l’apanage de l’instruction.

Depuis tout jeune, Matéo m’entraîne dans une marche nocturne quotidienne, sur les sentiers de cette garrigue ardéchoise si singulière.

Un rituel ponctue cette promenade : à mi-chemin du parcours se tient un rocher, sur lequel nous nous asseyons un moment. Pour Matéo, ce n’est pas un simple minéral comme les autres qui jonchent le paysage.

Celui-ci est particulier.

Il est disposé exactement au bon endroit, a la forme qui convient pour deux personnes et un chat (nous sommes souvent accompagnés d’un félin câlin), si bien qu’il représente le témoin silencieux avec lequel nous avons rendez-vous tous les soirs pour parler.

Sur ce rocher, Matéo n’avait que 8 ans lorsqu’il me dit : « Tu sais papa, ce qu’on vit aujourd’hui c’est le rêve des hommes d’avant ».

Nous sommes rentrés, comme chaque jour, et ces paroles ont raisonné longtemps en moi depuis lors.

Elles m’ont permis de voir les intentions positives des innombrables êtres humains, qui ont parfois sacrifié jusqu’à leur vie pour offrir à leur descendance de meilleures conditions de vie.

Aujourd’hui, nous y sommes, le rêve est réalisé. Les générations qui nous précèdent ont toutes participé à la réalisation d’une société lettrée, sécurisée par l’eau courante, une nourriture abondante et une énergie omniprésente à notre service pour nous chauffer, nous déplacer, et satisfaire tous nos désirs.

Rares ont été les êtres suffisamment éveillés et intuitifs pour ne pas être grisés par la somme considérable des progrès du 20ème siècle. Poussés par les rêves conjugués de millions d’individus, le monde moderne a émergé en un clin d’œil, à peine 4 ou 5 générations.

Aujourd’hui, nous découvrons avec dépit que ce rêve n’a pas tenu compte des capacités limitées de notre planète. Mais comment l’aurait-il pu ?

L’ignorance d’hier a cédé la place à des indicateurs tous plus alarmants les uns que les autres sur les conséquences de nos modes de vies créés à partir de ce rêve.

Indirectement, on peut dire que nos aïeuls nous mettent face à un défi.

Et nous ? Sommes-nous capables de rêver au monde d’après ? Saurons-nous construire la première marche qui conduit ce nouveau rêve vers la réalité ?